Tout au long de l'année 2021, Bretagne Grands Migrateurs lance une chronique sur la grande alose "Une année avec... la grande alose !". Aujourd'hui, le quatrième épisode : Alors, ça bulle ?
Depuis quelques jours au crépuscule, les grandes aloses nous offrent un extraordinaire spectacle… A la nuit tombée, lorsqu’elles se reproduisent, le mâle et la femelle, à demi émergés et flanc contre flanc, frappent violemment la surface de l'eau à l'aide de leur nageoire caudale en exécutant un mouvement circulaire. Ce comportement, appelé « bull » peut atteindre une intensité sonore de 50 dB !
La grande alose est un poisson très délicat qui ne peut se reproduire que dans des conditions bien particulières…
La grande alose affectionne les plages de galets et cailloux délimitées en amont par un profond et en aval par une zone peu profonde à courant rapide qui accueillera les œufs. Quatre paramètres semblent essentiels pour caractériser une zone de fraie :
- La taille du cours d’eau : Les aloses se reproduisent généralement dans des cours d’eau d’une certaine importance. En Bretagne, les principales populations sont en effet localisées sur les plus grands fleuves côtiers : la Vilaine, l’Aulne et le Blavet.
- La profondeur : généralement, la profondeur ne dépasse pas 3 m et peut descendre jusqu’à 0,5 m sans que les géniteurs se déplacent.
- La vitesse de courant : en moyenne, ses valeurs se situent entre 0,9 et 2m/s.
- La granulométrie : elle est constituée essentiellement d’éléments grossiers correspondant à des galets et des cailloux. La proportion de graviers, sables et vase reste très faible, les géniteurs évitant les zones colmatées.
Malheureusement, la grande alose n’a pas forcément le choix… La présence d’obstacles infranchissables rend inaccessible les sites de premier choix et oblige les géniteurs à se reproduire dans des zones très différentes à l'aval des barrages. Il s'agit alors de frayères forcées qui ne garantissent pas le succès de la reproduction…
Passage à l'acte
|
A partir de mai jusqu’en juillet, les mâles et les femelles se rassemblent par dizaine sur des zones - plus ou moins choisies - afin d'assurer le meilleur succès de leur reproduction.
La journée, les géniteurs restent la plupart du temps au repos à l’abri de refuges comme des blocs. Certains peuvent se déplacer de manière erratique, essentiellement le matin et le soir. Au crépuscule, les géniteurs se regroupent sur les frayères et à la nuit tombée, les couples formés montent en surface pour se reproduire. C’est au cours du bull que les gamètes sont libérés et que la fécondation a lieu dans le tourbillon provoqué. La ponte cesse dès l’aube.
Photo : P. Rigalleau
|
La température apparait comme le facteur prépondérant initiant puis contrôlant l’activité de frai. Aucun seuil de température ne se dégage pour le déclenchement de la reproduction, qui se déroulent néanmoins toujours au-dessus de 12°C. Le débit et certaines conditions météorologiques ont par ailleurs un rôle inhibiteur dans l’activité de ponte (crue, fortes précipitations). Certains arrêts ne peuvent s’expliquer par des variations de paramètres environnementaux laissant penser que l’activité reproductrice soit également modulée par des facteurs d’ordre physiologique (maturation fractionne des ovaires).
A l’écoute des bulls d’aloses
Les bulls se caractérisent par leur durée, de 2 à 8 secondes, et leur intensité sonore, de 35 à 50 dB. Cette caractéristique sonore est la base du suivi de la reproduction des aloses. Cette caractéristique sonore est la base du suivi de la reproduction des aloses. Depuis quelques années, d’étranges oreilles écoutent au bord de l’eau la fraie des aloses en Bretagne…
Le principe du suivi acoustique repose sur l'enregistrement des bulls sur un site de frai des aloses. Le dispositif d'enregistrement (photo ci-contre), constitué d'un dictaphone, un microphone et une parabole, est implanté au bord de l'eau et orienté sur la zone de reproduction. Chaque dispositif est mis en place le soir avant le commencement de l'activité de frai et est retiré en fin de nuit ou le matin.
Photo : L. Le Gurun
|
|
Les enregistrements sont analysés grâce à un logiciel de traitement des sons qui permet de visualiser le spectre sonore et ainsi, d'identifier et de comptabiliser rapidement les bulls. L'identification visuelle est validée par l'écoute de l'enregistrement.
Photo : Spectre d'un bull sur le logiciel Audacity (Source : L. Le Gurun)
|
|
Ce suivi a été déployé ponctuellement sur l’Aulne en vue d’apprécier le niveau d’abondance de la population d’aloses sur les frayères de Coatigrac‘h ou Trésiguidy dans le cadre de l’expérimentation d’ouverture des pertuis menée au printemps. Depuis 2020, un suivi acoustique est mené sur le Blavet pour estimer l’effectif d’aloses femelles sur une frayère à partir de comptages de bulls grâce au modèle ABC développé par Cédric Tentelier de l'Université de Pau et Pays de l'Adour.
Télécharger la note de synthèse des résultats de suivi acoustique de la reproduction des aloses en 2020
Rendez-vous fin juin pour le prochain épisode !