Auteurs : Cédric Briand (Eaux & Vilaine), Marion Legrand (Loire Grands Migrateurs) et Laëtitia Le Gurun (Bretagne Grands Migrateurs)
Les poissons migrateurs ont le besoin vital de circuler librement entre l’océan et l’eau douce pour accomplir l'ensemble de leur cycle de vie. Or, de nombreux seuils entravent leurs migrations ! En Bretagne, on compte sur les cours d’eau classés en liste 2 plus de 1 700 seuils, barrages, écluses… qui constituent autant d'obstacles plus ou moins franchissables pour ces espèces. Cela a pour conséquence une baisse de leur abondance voire leur disparition. Ces effets s’amplifient par la multiplication des ouvrages le long des axes migratoires même si pris individuellement, certains ouvrages ne semblent pas présenter d’effet sur les populations de poissons migrateurs, a fortiori lorsqu’ils sont de petite taille !
Les travaux évaluant l’effet cumulé des obstacles sur les poissons migrateurs sont peu nombreux et sont souvent cantonnés à une espèce et/ou un bassin. A titre d’exemple, une étude menée en 1999 et 2000 sur l’Aulne (radiopistage) a montré que seulement 4,3 % de la population de saumons était susceptible d’atteindre les zones favorables à la reproduction à cause des 26 obstacles à franchir entre Châteaulin et l’Aulne rivière.
Des indicateurs nationaux permettent aujourd’hui d’évaluer la pression des ouvrages sur le milieu (taux d’étagement et de fractionnement) et la connectivité en aval d’un bassin (métrique « migrateurs ») mais aucun n’évalue la pression cumulée des ouvrages sur la migration des poissons migrateurs le long d’un axe migratoire… C’est pourquoi Eaux & Vilaine, Loire Grands Migrateurs (LOGRAMI) et BGM ont lancé en 2023 un projet, intitulé MONTEPOMI, pour :
- Déterminer l’impact cumulé des obstacles à la montaison,
- Evaluer le gain potentiel d’un effacement ou aménagement d’obstacles.
Comment quantifier l'impact cumulé des obstacles?
La méthode consiste à croiser des données de présence des poissons migrateurs avec des données d’ouvrages pour quantifier, à partir de modèles statistiques, la réponse de la distribution des espèces étudiées à des scénarios de cumul d’impact. Ces derniers, au nombre de 112, sont tous basés sur la hauteur de chute - intégratrice de l’ensemble des impacts d’un ouvrage, que ce soit en termes d’habitats aquatiques, de qualité de l’eau ou de fragmentation – et intègrent ou non les valeurs prédites de hauteurs de chute manquantes, l’impact plus élevé des grands ouvrages, la présence d’une passe à poissons fonctionnelle et les expertises de franchissement.
Il en ressort que :
- La variable de hauteur de chute est la plus influente quelle que soit l’espèce dans les modèles de présence, ce qui n’est pas le cas dans les modèles de densités (la variabilité des données dépend d’autres facteurs tels que l’année, la distance à la mer, le bassin…).
- L’effet des passes à poissons et de des expertises de franchissement des ouvrages n’est pas retenu (statistiquement non significatif) dans les modèles de cumuls d’impacts vraisemblablement en raison de bases de données nationales incomplètes sur ces variables.
- Les modèles de cumuls d’impact sont performants pour toutes les espèces migratrices, et prédisent entre 50 et 90% des observations de poissons migrateurs.
Comment évaluer la gain potentiel sur les poissons migrateurs d'un effacement / aménagement ?
La méthode consiste à modéliser les surfaces productives pour chaque espèce migratrice à partir de données d’habitats. Ces modèles d’habitats se basent sur :
SAUMON / LAMPROIE MARINE
Surface d’équivalent radier-rapide à partir des cartographies d’habitats de juvéniles de saumons
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GRANDE ALOSE
Surface en eau des tronçons avec frayères d’aloses à partir du RHT et des données d’observations
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ANGUILLE
Surface en eau des tronçons à partir du modèle EDA 2.3
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Le produit des modèles d’habitats et de cumuls d’impacts aboutissent à l’élaboration des modèles de production qui permettront pour chaque espèce d’évaluer le gain associé à une action de restauration de la continuité écologique.
Quid de la dévalaison ?
Lors de la dévalaison des poissons migrateurs, les ouvrages peuvent engendrer des blessures ou des mortalités, en particulier au niveau des centrales hydro-électriques. En effet, le passage des poissons dans les turbines les soumet à diverses contraintes susceptibles d’entrainer des mortalités importantes selon l’espèce et la taille de l’individu. En 2015, le projet DEVALPOMI a permis de quantifier les mortalités cumulées des anguilles argentées et des smolts dans les turbines hydroélectriques à l’échelle du bassin Loire-Bretagne. Ce travail a notamment été mis à jour avec les nouvelles formules d’estimation de mortalité dans les turbines. A l’échelle du bassin Loire-Bretagne, une première estimation de la mortalité peut être fournie à 14 772 anguilles argentées, soit 12% de la mortalité, mais les données doivent faire l’objet d’une expertise et une mise à jour avant de pouvoir produire une estimation définitive.
Perspectives
L’ensemble des résultats à la montaison et à la dévalaison sera prochainement accessible dans un outil interactif qui permettra, en quelques clics, de consulter les résultats et de tester des scénarios d’aménagement de restauration de la continuité écologique. Cet outil apportera par ailleurs une aide pour actualiser les informations erronées sur les ouvrages en vue de la mise à qualité des bases de données que ce soit à l’échelle du projet ou nationale.
Rendez-vous le mois prochain pour un nouvel article !