Depuis quelques jours, madame l’alose est arrivée en Bretagne. Après une phase de croissance marine de 3 à 8 ans sur le plateau continental, elle retourne au printemps dans les cours d’eau pour se reproduire…
Une forte fidélité à sa rivière d'origine
Cette espèce possède un instinct de retour dans sa rivière de naissance, mais beaucoup moins marqué que chez les salmonidés migrateurs. En Bretagne, la grande alose fait preuve d'un fort degré de fidélité à sa rivière natale sur l'Aulne, le Blavet et la Vilaine ; sur le Scorff, cette fidélité semble moins précise. Cette espèce présente par ailleurs une structure génétique faible, ce qui appuie les indices d’un égarement d’individus entre bassins versants rapprochés ou plus éloignés : en Bretagne, des dispersions entre bassins voisins ont été observées du Scorff et du Blavet vers la Vilaine et de la Vilaine vers la Loire (1). Dans la dynamique des populations, ces individus « égarés » auraient un rôle majeur dans le fonctionnement des populations et la résilience de l’espèce face à des perturbations environnementales : maintien d’une petite population, recolonisation d’un milieu…
Des arrivées d’aloses par vagues successives de migration…
La remontée en eau douce des géniteurs de grande alose se déroule principalement entre mars et mai. Les aloses migrent en banc, essentiellement le jour et plus intensément, l’après-midi. Pendant toute la migration en eau douce, les géniteurs ne se nourrissent pas.
La migration anadrome des aloses se caractérise par une forte variabilité des dates de début et de fin de remontée. Mais, des travaux récents (2) ont mis en évidence, à partir de l’analyse des données de 40 stations localisées dans 28 cours d’eau en France, une avancée des dates de migration des aloses en eau douce : 3,7 jours tous les 10 ans. Les aloses présentent également des avancées contrastées entre la date de début et la date de fin de migration, avec la date de début avançant plus que la date de fin (-6,3 contre -1,4 jours/décennie), induisant ainsi un allongement de la période de migration de ce taxon.
Comparaison des périodes de passages des aloses aux stations de comptage en Bretagne depuis la mise en place du début des suivis (Sources : Région Bretagne, EPTB Vilaine)
La température de l’air et de surface de la mer, les débits des rivières et l’indice d’oscillation Nord-Atlantique expliqueraient le décalage dans les dates de migration, indiquant que des facteurs jouant à plusieurs échelles spatiales influencent ces dates de migration.
… influencée en grande partie par les facteurs environnementaux…
Lors de leur remontée en rivière, les aloses migrent selon un flux structuré en vagues successives qui se propage vers l’amont en se décalant dans l’espace et le temps, en fonction des conditions environnementales. La température de l’eau, le débit et le rythme des marées jouent un rôle prépondérant dans le déclenchement de la migration en eau douce qui reste toutefois relié aux contraintes d’adaptation physiologique et de rhéotactisme (3) qui les guident vers les cours d’eau :
- La température de l’eau joue un rôle prépondérant dans le déclenchement et la modulation de l’intensité migratoire qui s’arrête en-dessous de 11°C;
- Une brusque augmentation du débit est inhibitrice de la migration fluviale;
- Le rythme de migration peut fluctuer sous l’effet des marées dont l’effet varie en fonction de la localisation géographique du cours d’eau.
La houle, la turbidité, la salinité, le vent et la configuration de l’estuaire peuvent également influer sur la migration en estuaire.
... et des obstacles à la migration !
Les capacités de franchissement d’un obstacle sont étroitement liées aux capacités de nage et de saut qui dépendent elles-mêmes de la morphologie de l’espèce, de sa taille et de la température de l’eau.
Bien que réputées bonnes nageuses, les aloses possèdent des capacités de nage réduites et n’ont pas d’aptitude au saut : des vitesses de l’ordre de 2m/s constituent une difficulté majeure dès lors que la distance à franchir dépasse une dizaine de mètres, des vitesses de l’ordre de 3,5 à 4m/s sur quelques mètres une barrière difficilement franchissable. Face à un obstacle, l’alose recherche les veines d’eau régulières à écoulement laminaire. A l’inverse, elle semble éviter les zones tourbillonnaires à forte turbulence et les eaux émulsionnées (remous à l’aval de la chute, ressaut, …).
Les obstacles à la migration anadrome des aloses restreignent l’accès aux zones naturelles de reproduction et/ou induisent des retards à la migration allant jusqu’à compromettre leur reproduction. La modification du flux de migration provient d’un changement de comportement des aloses face à l’ouvrage se traduisant par un regroupement des poissons dans une zone de repli constituée par un profond situé en aval de l’obstacle où les poissons bloqués attendent d’avoir les conditions nécessaires à son franchissement. Si les conditions de franchissabilité ne s’améliorent pas ou si les aloses échouent durant plusieurs jours, elles peuvent alors frayer sous l’obstacle, dans des conditions environnementales potentiellement contraires à la survie des œufs. (->Rdv fin mai pour en savoir plus sur la reproduction des aloses)
Restaurer et garantir la migration des saumons vers leurs zones de reproduction participent à leur maintien. Plusieurs solutions existent pour réduire voire annuler l’impact négatif des obstacles à leur remontée, allant de l’effacement de l’ouvrage pour un gain écologique maximal à la passe à poissons, solution partielle, qui ne permet pas le franchissement de 100% des poissons (efficacité d’une passe à poissons de 50% est une valeur excellente pour les aloses et une valeur de 10 à 20% est fréquente) ni le passage des sédiments.
(1) Martin J., Rougemont Q., Drouineau H., Launay S., Jatteau P., Bareille G., Berail S., Pécheyran C, Feunteun E., Roques S., Clavé D., Nachon D., Antunes C., Mota M., Réveillac E., Daverat F., 2015. Dispersal capacities of anadromous Allis shad population inferred from coupled genetic ans otolith approach. Journal canadien des sciences halieutiques et aquatiques, 72 (7) : pp 991-1003 |
(2) Legrand M., Briand C., Buisson L., Besse T., Artur G., Azam D., Baisez A., Barracou D., Bourré N., Carry L., Caudal A.-L., Corre J., Croguennec E., Der Mikaélian S., Josset Q., Le Gurun L., Schaeffer F., Toussaint R., Lafaille P. 2020. Diadromous fish modified timing of upstream migration over the last 30 years in France. Freshwater biology, volume 66, issue 2 : pages 286-302
|
(3) phénomène de locomotion orientée, déclenchée et entretenue par un courant d'eau
Rendez-vous fin avril pour le prochain épisode !
|