Tout au long de l'année 2023, Bretagne Grands Migrateurs lance une chronique sur la lamproie marine "Une année avec... la lamproie marine!". Aujourd'hui, le dernier épisode... Retour sur la 3ème journée technique : La lamproie marine, bientôt une légende en Bretagne ?
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La 3ème journée technique a fait escale le 30 novembre 2023 à Nivillac (56) pour mettre à l'honneur la lamproie marine. Cette journée a été ponctuée d'interventions de l'OFB, du MNHN, de l'INRAE, d'Eaux & Vilaine, des fédérations de pêche, de Bretagne Grands Migrateurs.... BGM a accueilli plus de 70 personnes venues des 4 coins de la Bretagne. Acteurs de la pêche, techniciens de rivières, représentants de l'État et scientifiques ont échangé tout au long de la journée sur l'état des populations de lamproie marine et les suivis déployés sur cette espèce en Bretagne. L’événement a été organisé en partenariat avec la Fédération de pêche du Morbihan et avec le financement de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, de la Région Bretagne, de la DREAL Bretagne et de la Fédération nationale pour la pêche en France. |
Les lamproies ne sont pas des poissons !
Les lamproies, qui puisent leur origine il y a 350 à 500 millions d’années, sont des vertébrés aquatiques sans mâchoires de la famille des Agnathes. 3 espèces de lamproies sont observées en France : la lamproie marine, la lamproie fluviatile et la lamproie de Planer. Les lamproies fluviatiles et de Planer sont en réalité une espèce avec deux écotypes mais elles sont considérées comme des espèces distinctes pour mieux adapter leur gestion.
Les larves de lamproie marine se différencient des larves de Lamproie fluviatile ou de Lamproie de Planer par l’extrémité de la queue pigmentée.
Après 1 à 2 ans passés en mer comme parasite de poissons et mammifères marins, la lamproie marine quitte son hôte pour rejoindre entre avril et juin les cours d’eau pour se reproduire sur les zones courantes et caillouteuses des cours d’eau entre mai et juillet. Les géniteurs meurent après la reproduction. Les larves ammocètes vivront enfouies dans le substrat en eau douce en filtrant la matière organique pendant 3 à 7 ans avant de dévaler les cours d’eau en automne pour grandir en mer.
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De haut en bas : 1 lamproie marine, 2 lamproies fluviatiles et 1 lamproie de Planer (source : G. Evanno)
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La lamproie marine, une espèce en danger !
Au niveau européen, la lamproie marine est classée en préoccupation mineure selon les critères de la Liste Rouge. Ceci étant, cela cache des classements nationaux qui pour la plupart convergent aujourd’hui vers un classement de l’espèce en danger voire en danger critique d’extinction. En France, la lamproies marine est classée en danger depuis 2019. Ses stocks sont en forte baisse sur les grands fleuves en France : de 0 à 4 individus depuis 2014 sur la Garonne (18 344 en 2003), entre 0 et 34 LPM depuis 2016 sur la Dordogne (39 069 en 2009), 14 individus en 2023 en Loire (plus de 80 000 en 2007 et 2008) (source : MIGADO, LOGRAMI).
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Classement Liste Rouge en Europe (L. Beaulaton, compilations diverses sources)
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En Bretagne, elle est classée en préoccupation mineure en 2015 mais avec une responsabilité régionale élevée. Elle colonise 900 km, principalement les bassins de la Vilaine, l’Oust, le Scorff, l’Ellé, l’Aulne, le Blavet et le Couesnon.
Les suivis des populations de lamproies marines en Bretagne (stations de vidéocomptage, comptage de nids) arrivent à la même conclusion : la situation des lamproies marines se dégrade actuellement en Bretagne. Sur les trois dernières années, la tendance est en forte baisse par rapport aux 10 dernières années même si leurs effectifs fluctuent très fortement d’une année à l’autre en raison des conditions hydro-climatiques, de la dynamique naturelle de ces espèces et du contexte local.
Situation 2021-2023 et tendance sur les 10 dernières années des suivis menés sur la lamproie marine en Bretagne (BGM, 2023)
La révision de la liste rouge régionale des poissons d’eau douce est actuellement menée par BGM, en collaboration avec l’OFB et un comité d’experts. Le classement de la lamproie marine risque d’évoluer au niveau régional vers un niveau de menace supérieur par rapport à l’actuelle liste Rouge (2015).
La Lamproie marine est absente de plusieurs cours d’eau bretons : Elorn, Aven, Goyen, Aber Ildut… l’absence de lamproies de Planer pourrait expliquer ce constat. A l’inverse, la présence de lamproies de Planer en amont pourrait expliquer la présence de lamproies marines sur le Sal et le Loc’h où la survie des larves est très mauvaise. Il pourrait être intéressant en Bretagne de comparer la présence des lamproies marines à celle des lamproies de à partir des données de pêche scientifique à l’électricité.
Quant à la lamproie fluviatile, la population est quasi-inexistante sur les côtiers bretons avec quelques individus observés les 10 dernières années (Vilaine, Couesnon, Montafilan, Elorn, affluent du Steïr).
Faut-il s’alarmer d’une possible disparition de la lamproie marine sur le bassin de la Vilaine ?
Les suivis des remontées de lamproie marine à la passe d’Arzal (vidéocomptage) et de comptage des nids montrent de fortes variations interannuelles des effectifs qui sont plutôt en diminution. Les observations sur le bassin sont plutôt alarmantes. Il serait nécessaire de réaliser un suivi complet des comptages de frayères pour savoir précisément quel est l’état réel de la reproduction. Dans le cadre du suivi des travaux de restauration de la continuité écologique menés par la Région Bretagne, la Fédération de pêche du Morbihan a prévu de relancer le suivi de la reproduction des lamproies marines. Des suivis ADNe pourraient permettre d’obtenir des informations sur la limite du front de colonisation (données de présence/absence).
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Une espèce sous pressions !
La fragmentation des habitats en raison des obstacles à l’écoulement constitue la 1ère cause de perturbation écologique pour plus de 40 % des poissons d’eau douce. En Bretagne, c’est 1 ouvrage tous les 1,7 km de cours d’eau. Les obstacles induisent un blocage, un retard et/ou des blessures et un épuisement. Ils entrainent par ailleurs une disparition des habitats de reproduction et de croissance et contraignent les lamproies marines à choisir des milieux sous-optimaux à l’aval des barrages pour leur reproduction. Tous ces impacts, amplifiés par l’effet cumulé des ouvrages rencontrés tout au long de leurs déplacements dans les cours d’eau, aboutissent à une baisse des abondances voire une disparition de l’espèce. |
Une étude menée par BGM et l’OFB a montré que près de 30% des passes à poissons situées sur des cours d’eau où la lamproie marine était présente n’étaient pas fonctionnelles pour cette espèce (passes non adaptées ou non entretenues). L’intérêt de travaux de restauration de la continuité écologique portent sur l’augmentation des surfaces de frayères. |
Il n’existe, à ce jour, aucun indicateur de pression des ouvrages sur la migration des espèces amphihalines d’un axe migratoire. Le projet MONTEPOMI / DEVALPOMI, lancé en 2023, vise ainsi à quantifier l’impact cumulé des obstacles à la montaison et à la dévalaison des poissons migrateurs sur le bassin Loire-Bretagne.
Les 1ers résultats montrent un effet positif d’une passe à poissons fonctionnelle et d’une expertise de franchissabilité favorable. La variable de cumul d’impact est la 1ère variable explicative de la distribution des lamproies marines. Ces résultats son préliminaires puisque le jeu de données « ouvrages » va être mis en qualité. A terme, il est prévu de développer une interface interactive à destination des gestionnaires.
Qu’apporte le suivi des frayères sur le bassin du Couesnon ?
Débuté en 2008, le suivi est réalisé à pied sur les radiers répertoriés d’aval en amont jusqu’aux 2 ou 3 radiers situés en amont de la dernière frayère observée. La reproduction débute en général début mai sur les stations aval et se termine mi-juin. Le suivi renseigne sur l’abondance des lamproies marines mais également sur l’impact des obstacles à la continuité. Ces recensements de frayères permettent également d’obtenir des données disponibles pour les services de l’Etat en cas de contentieux.
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Evolution du nombre de frayères de lamproie marine comptées sur le bassin du Couesnon depuis 2008 (source : FDAAPPMA35)
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Le déclin des populations de lamproies marines est multifactoriel. Sur la Loire, le silure est identifié comme une nouvelle pression, s’ajoutant aux autres facteurs de pression. A ce jour, il n’existe aucun consensus scientifique concernent l’effet global du silure sur les populations piscicoles ; en revanche, les effets sont forts sur les amphihalins. |
Silures (source : S. Granzotto, NPL, Minden pictures)
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Le silure se situe dans un contexte difficile : espèce loisirs ou espèce commerciale, prédation envers des espèces patrimoniales d’importance écologique. Le projet GLANISPOMI a consisté à étudier d’une part, le régime alimentaire des silures (approche silure centrée) et d’autre part, le taux de prélèvement des lamproies marines par les silures (approche lamproie centrée). En parallèle, le projet BELAMPHI a étudié la relation silures-lamproies sur un site estuarien.
Finalement, ces travaux montrent une prédation forte vers les zones de frayères, une prédation renforcée dans les zones de barrage et une prédation possible dès l’entrée en estuaire ce qui marque une pression possiblement permanente le long du gradient mer-frayères.
Des programmes de recherche en cours…
Reproduction de 2 lamproies marines (source : S. Barrio)
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Connaître le nombre de géniteurs à partir du comptage des frayères
Le comptage de nids permet de disposer de données intéressantes pour estimer l’abondance de la population de lamproie marine. En revanche, il s’agit d’un indicateur indirect qui ne permet pas de connaitre le nombre de reproducteurs effectif. Des travaux récents ont permis de développer modèle simulant une saison de reproduction à partir de données comportementales issues d’un suivi individuel par capture-marquage-recapture. Une 1ère version du modèle est déjà disponible : https://mdhamelincourt.shinyapps.io/Lamproie_tracker/.
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Il est nécessaire de réaliser des suivis hebdomadaires mais l’idée est aussi d’adapter le modèle aux contraintes des gestionnaires.
Ce travail va être poursuivi en 2024 sur le bassin du Couesnon en collaboration avec BGM et la Fédération de pêche d’Ille-et-Vilaine. En 2025, il est envisagé que ce modèle soit utilisable en routine.
Echantillonner les ammocètes en eaux profondes
Le suivi des ammocètes est complémentaire des comptages de frayères, il permet de fournir des données sur le succès de reproduction actuel ou passé. Dans les eaux peu profondes, les prélèvements sont réalisés à l’aide d’un caisson avec filet et épuisette et le tri est effectué dans un tamis flottant. Les ammocètes sont identifiées et mesurées individuellement. Dans les eaux profondes, la fédération de pêche du Morbihan a adapté un tellinier. Récemment, elle a réalisé des échantillonnages par pêche scientifique à l’électricité en utilisant un cadre de 60 x 60 cm. Ces essais se sont avérés concluants : prospection plus rapide des habitats, une estimation des densités.
Méthode de captures des ammocètes dans les eaux peu profondes (en haut) et dans les eaux profondes (à droite) (source : FDAAPPMA56)
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Outil de captures des ammocètes en eaux profondes (source : J. Tremblay)
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L’INRAE teste également des dispositifs de captures des ammocètes en milieux profonds (projet Ammocètes en milieu profond -AMiPro-). Les objectifs sont de concevoir un outil pour capturer les larves en milieu profond, de caractériser le biotope optimal des ammocètes et de trouver des larves de lamproie marine 0+ et 1+. Début 2024, il est prévu de finaliser l’outil (test en étang jusqu’à 2 m de profondeur) et de réaliser des prélèvements sur la Sélune et le Scorff. Si les résultats sont concluants, une fiche action OFB-INRAE sera lancée pour réaliser un protocole d’indice d’abondance.
Ce suivi présente également un intérêt lorsque les conditions d’observations des nids sont difficiles (colmatage important et rapide des frayères sur l’Oust) ou encore de vérifier l’efficacité de la fraie en cas de ré-ouverture d’obstacles). Il est, dans certains cas, en revanche difficile de trouver des habitats favorables à partir de la grille d’habitats sans faire de prélèvements (absence de cartographie des litières), sans compter que ses habitats sont mobiles (crues).
Les ammocètes vivent dans le sédiment entre 3 et 8 ans dans les eaux les plus froides. De par leur mode de vie par filtration, elles accumulent des microplastiques ce qui a certainement un impact sur leur survie. Elles pourraient être des indicatrices de la qualité de l’eau pour certains polluants. |
Evaluer l’impact de l’ensablement sur la reproduction des lamproies marines sur le Scorff
Le bassin du Scorff, de par les aménagements liés aux seuils de moulins, barrages et pêcheries, présente une problématique de stockage potentiel de sable en raison de l’érosion des sols liée à un bassin très agricole et peu bocager. Par ailleurs, on sait que la reproduction de la lamproie marine se déroule sur des faciès généralement peu recouverts de sable. Les objectifs de l’étude ont été de cartographier le taux d’ensablement du lit et de déterminer si la répartition et l’évolution de l’ensablement étaient susceptibles d’affecter la reproduction de la lamproie marine.
L’étude montre que l’ensablement a augmenté au niveau des faciès lentiques ; les radiers et les plats courants sont moins touchés par le sur-ensablement. Les secteurs de Kerustang et de Poulhibet sont les plus touchés avec 27 % des frayères de lamproie marine situées sur des faciès assez ensablés (40-80 %). En revanche, on ne note pas d’évolution de l’ensablement autour des frayères.
Les niveaux d’eaux pendant la période de reproduction permettent toutefois à la lamproie marine de trouver des sites plus favorables à la fraie que le saumon (les coups d’eau hivernaux peuvent participer à l’ensablement des frayères). Il semble donc nécessaire d’être vigilant lors de l’ouverture de barrages et de procéder progressivement à l’ouverture des seuils.
Les propos du Président de Bretagne Grands Migrateurs clôturent cette journée sur une note d’espoir « L’étroite collaboration entre les acteurs bretons : instances de la pêche, organismes de recherche, gestionnaires et l’Etat et le travail de coordination de BGM sont une force en Bretagne et, je l’espère, permettront de préserver la lamproie marine ! ».
Encore merci aux intervenants !
En 2023, BGM a réalisé une vidéo sur les populations de lamproies marines sur les cours d’eau bretons en faisant un focus sur le suivi de la reproduction par comptage de frayères sur l’Ellé et l’Isole.
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C’était le dernier article de la chronique « Une année avec la lamproie marine ». Pour lire et relire tous les articles de cette chronique, rendez-vous sur le site de l’Observatoire des poissons migrateurs en Bretagne :https://www.observatoire-poissons-migrateurs-bretagne.fr/chroniques-sur-les-poissons-migrateurs/une-annee-avec-la-lamproie-marine