Biologie de l'anguille européenne
L’anguille européenne est un grand migrateur thalassotoque, c’est-à-dire qu’elle se reproduit en mer et grossit en eau douce. Grande voyageuse, elle traverse 2 fois l’océan Atlantique au cours de sa vie pour réaliser l’ensemble de son cycle de vie. |
Que l'on parle de leptocéphale, de la civelle, de l'anguille jaune ou de l'anguille argentée, il s'agit toujours de l'anguille européenne ! Pourtant jusqu’au milieu du XIXème siècle, la larve leptocéphale était considérée comme une espèce à part entière et classée sous le nom Leptocephalus bevirostris. Au cours de sa vie, elle va se métamorphoser 3 fois pour s’adapter à tous les milieux qu’elle traverse !
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Une reproduction mystérieuse en eau profonde
100 millions d’années et la naissance de l’anguille européenne demeure toujours une énigme… Elle fraie autour de la lune noire de février, dans le noir au cœur de l’océan Atlantique. Mais, ni adultes sexuellement matures en pleine mer, ni œufs fécondés, ni actes de reproduction n’ont été observé jusqu’à aujourd’hui.
Aristote supposait que les anguilles naissaient « des entrailles de la Terre » … Il a fallu attendre la fin du XIXème siècle pour que Grassi, un savant italien, découvre que les leptocéphales jusqu’alors considérés comme une espèce à part entière Leptocephalus brevirostris était en fait la larve de l’anguille. Pour la première fois, l’espèce était repérée en mer ! Mais c’est dans les années 1920 que le lieu de ponte de l'anguille européenne a été précisé : après avoir sillonné la Méditerranée et l’Atlantique nord, Johannes Schmidt démontra que les plus petites larves d’anguilles étaient trouvées dans la mer des Sargasses (COOKE L., 2021. L'Enigme de l'anguille et autres bizarreries animales. Editions Albin Michel. 496 pages). |
La partie orientale de la mer des Sargasses est le berceau supposé de l’Anguille. Cette zone de convergence nord atlantique à très faible courant mesure 3000 km d’est en ouest et 1500 km du nord au sud entre la Floride et les Antilles. Elle se caractérise par une fosse abyssale de 2 000 à 6 000 m de profondeur, où les eaux ont une température et une salinité élevées jusqu'à 1 000 m de profondeur.
Plus récemment, des travaux ont proposé une nouvelle hypothèse : les géniteurs seraient capables de se repérer et de s’orienter vers l’ouest vers les Açores quel que soit leur point de départ. Une fois aux Açores, ils suivraient la dorsale médio-atlantique vers le Sud-Ouest jusqu’à ce qu’ils détectent un changement brutal de la température de l’eau. Ce front thermique, qui est d’ailleurs la température de ponte idéal, se situe à 1000 km à l’est de la bordure de la mer des Sargasses (CHANG Y.-L. K., FEUNTEUN E., MIYAZAWA Y., TSUKAMOTO K. 2000. New clues on the Atlantic eels spawning behavior and area : the Mid Atlantic Ridge hypothesis. Scientific Reports (2020) 10:15981. 12 pages - https://doi.org/10.1038/s41598-020-72916-5 - www.nature.com/scientificreports).
On estime que la maturation finale des adultes et l'éclosion des œufs requièrent une température minimale de 17 °C et une pression au moins 40 fois supérieure à celle de l'atmosphère. La reproduction aurait lieu à environ 700 m de profondeur. La capacité de reproduction de l'anguille est exceptionnelle, chaque femelle produisant entre 1,3 et 1,5 million d'ovocytes.
Le grand voyage des leptocéphales
Après avoir été fécondés, les œufs deviennent des larves transparentes à tête plate, ou leptocéphales, qui ont de grands yeux et dont la forme ressemble à une feuille de saule. Ces larves, carnivores, sont munies de très longues dents et se nourrissent de zooplancton. |
Le Gulf Stream les entraîne par millions, dès leur naissance, au tout début du printemps, pour une traversée de l'Atlantique qui durera environ 200 jours. Durant la journée, les larves se laissent porter entre 200 et 300 m de profondeur, remontant la nuit à 25 m environ de la surface.
Des questions subsistent sur les routes migratoires empruntées par les larves. La modélisation du transport des larves montre qu’il faudrait entre deux et trois ans pour qu’elles arrivent sur les côtes. Or, la lecture des otolithes, pierres situées dans l’oreille interne des poissons, révèle que larves mettraient moins d’un an de vie avant d’arriver en tant que civelle sur les côtes européennes… (BONHOMMEAU, 2011. Effets environnementaux sur la survie larvaire de l’Anguille (Anguilla anguilla) et conséquences sur le recrutement. Thèse Agrocampus Rennes : 320 pages)
A l’approche du talus continental à 100 km des côtes, les leptocéphales cessent de se nourrir et se métamorphosent en civelles. Elles commencent alors entre octobre et mars leur migration vers les côtes et les estuaires. Les civelles progressent près de la surface, portées par le flot de la marée montante. À marée descendante, elles rejoignent le fond pour ne pas se faire entraîner en aval. Certaines restent sur les côtes, où elles deviendront des anguilles, mais la plupart remonteront fleuves et rivières...
Civelles à leur arrivée dans l'estuaire |
A l'assaut des fleuves et des rivières
A partir d’avril en faveur du réchauffement printanier des eaux (température supérieure à 10-12 °C), les civelles se pigmentent, deviennent de petites anguilles et reprennent leur alimentation pour poursuivre leur migration. Alors que certaines anguilles choisissent de s'établir sur le littoral ou dans les eaux saumâtres, d'autres remontent les cours d’eau. |
Ce sont surtout les anguilles d’une taille inférieure à 30 cm qui ont ce comportement migratoire. Il est supposé que la migration anadrome des anguillettes est soumise au mécanisme de densité-dépendance. Ainsi, plus les zones en aval des cours d’eau sont occupées, plus les anguilles, en particulier les petits individus, sont contraintes de remonter vers l'amont pour s'installer dans des habitats favorables vacants. Ceci explique le gradient aval-amont décroissant des densités d’anguilles, avec une prépondérance des jeunes individus en aval et leur absence en amont des bassins versants où seules les plus grandes anguilles sont rencontrées. La migration des anguilles est également conditionnée par la qualité et l’accessibilité des habitats (Lasne E., Lafaille P., 2008. Analysis of distribution patterns of yellow European eels in the Loire catchment using logistic models based on presence-absence of different size-classes, Ecology of Freshwater Fish, 17 : 30-37).
La colonisation d’un bassin versant par les anguilles, qui s’effectue par vague migratoire, découle de la combinaison de plusieurs facteurs : recrutement fluvial, stock déjà présent, connectivité des milieux et qualité des habitats. Et la Bretagne ne semble pas échapper à la règle… (Briand C., Fatin D., Fontenelle G. and Feunteun E., 2005. Effect of re-opening of a migratory pathway for eel (A. anguilla) at a watershed scale. Bull. Fr. Pêche Piscic., 378–379, 67–86).
La part de jeunes anguilles qui migrent vers l'amont du fleuve pour coloniser les eaux douces est apprécié chaque année depuis 2014 par un réseau régional de suivi du recrutement fluvial par pêche électrique sur 22 stations. L’indice breton observé depuis 2014 est stable mais vraisemblablement à un niveau très bas par rapport aux années 1960, en comparaison à l’indice européen de recrutement. |
La colonisation et le stock en place sont également suivis par un réseau de pêches électriques d’indices d’abondance anguilles, constitué de 1 200 opérations sur près de 690 stations réparties sur une vingtaine de bassins versants. Globalement, il ressort que :
- Les indices d’abondance anguilles, relativement élevés à l’aval des bassins, chutent rapidement dès que l’on s’éloigne de la mer ;
- Même si sur de nombreux bassins, la colonisation des anguilles est largement conditionnée par la présence des obstacles qui constituent un frein ou un blocage, les faibles abondances observées sur les parties basses de cours d’eau semblent être la résultante d’un recrutement fluvial faible ;
- Les anguillettes dont la longueur est inférieure à 15 cm peuvent néanmoins parcourir de longues distances pour atteindre les zones favorables à leur croissance comme c’est le cas sur la Vilaine.
Les anguillettes vont continuent de migrer vers l'amont des bassins versants jusqu'à une taille d'environ 30 cm. Elles se sédentariseront ensuite dans les eaux douces ou les estuaires pendant plusieurs années…
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Anguille jaune |
5 à 20 ans pour grandir en eau douce
A leur entrée en eau douce, les civelles deviennent anguillettes puis anguilles jaunes. Ce stade, plus ou moins long, est entièrement orienté vers la croissance. Après quelques années actives à coloniser les milieux aquatiques côtiers et continentaux, les anguilles jaunes adoptent un mode de vie principalement sédentaire.
Les anguilles jaunes colonisent des habitats très variés : estuaires, marais, fleuves, rivières, lacs, étangs, … Leur omniprésence laisse penser qu’elles sont très tolérantes sur le choix de leur habitat mais il existe quelques nuances :
- Un choix de l’habitat en relation avec le sexe de l’individu : les mâles dominent là où les densités sont les plus fortes, souvent dans les parties basses des bassins, alors que les femelles, plus âgées, de plus grande taille et plus grosses, sont dominantes en amont des bassins dans les secteurs plus faiblement peuplés. Ceci-dit, les densités de femelles des zones amont sont très faibles, proches de celles des zones aval.
- Un choix de l’habitat en relation avec la taille : généralement, les petits individus préfèrent les zones peu profondes et courantes avec un substrat grossier (radiers) alors que les individus plus âgés optent pour des zones profondes.
- Un choix de l’habitat en relation avec les saisons : lorsque la température de l’eau est inférieure à 8-10 °C ou supérieures à 26-30 °C, les anguilles ralentissent voire cessent toute activité et ont tendance à s’enfouir dans la vase et les milieux profonds.
Les anguilles se nourrissent principalement la nuit, en utilisant son odorat qui est très développé. Elles ont une alimentation très diversifiée, et à chaque stade de leur cycle de développement, leur régime alimentaire est différent. Elles se nourrissent principalement de petits poissons, d’écrevisses, d’escargot d’eau, de vers d’insectes aquatiques, d’acariens et de déchets divers.
La croissance est très variable, de 10 à 100 mm par an selon les individus, leur âge, leur densité et les habitats dans lesquels ils vivent. Cette forte variabilité, d’origine multiple, conduit à des chevauchements des distributions de taille des cohortes qui rend impossible, au-delà des 15-20 premiers cm, la décomposition des cohortes en fonction de la structure en taille des anguilles. De manière générale, les anguilles dans leur première année de vie en eau continentale grandissent en moyenne de 10 cm ! Leur croissance est ensuite plus faible, de l’ordre de 5cm/an, sur les 6-7 années suivantes (ADAM G., FEUNTEUN E., PROUZET P., RIGAUD C. (Coord), 2006. L’anguille européenne, indicateurs d’abondance et de colonisation. Editions QUAE. 400 pages).
Plus spécifiquement en Bretagne, 2 suivis par marquage individuel étudient la croissance des anguilles :
- Sur le Frémur, la croissance est estimée en moyenne à 20,7 mm/an depuis la mise en place du suivi. Relativement stable d’une année à l’autre, elle oscille entre 18,3 mm pour les individus marqués en 2014 et 31,4 mm pour les individus marqués en 2019. Au niveau individuel, la croissance des anguilles peut toutefois être très différente, variant de 2 à 54 mm. Ces croissances moyennes annuelles sont toutefois plus faibles que celle estimée par la lecture des otolithes entre 1998 et 2004 qui était de 61,7 mm. Plusieurs hypothèses pourraient expliquer cette différence : un effet de la marque sur la croissance, une diminution globale des croissances sur le Frémur ces dernières années, une surestimation des croissances par la technique d’otolithométrie utilisée entre 1998 et 2004 (CHARRIER F., BELHAMITI N., ALLIGNE M., BERTHELOT Y., 2021. Suivi des migrations d’anguilles et évaluation des stocks sur le Frémur en 2020. Fish-Pass pour le MNHN : 123 pages).
- Sur la Vilaine, la croissance moyenne des anguilles de plus de 300 mm s’établit à 21,6 mm/an, certaines anguilles n’ayant pas grandi du tout et d’autres grandissant de 60 mm dans l’année. Il est possible qu’un effet ”marquage” apparaisse chez certaines anguilles aux croissances plus faibles lors des deux premières années mais il est difficile de trouver un facteur expliquant clairement la variation observée (BRIAND C., SAUVAGET B., ERAIU G., 2017. Gestion de l’anguille sur le bassin de la Vilaine en 2016. EPTB Vilaine. 40 pages).
La maturité sexuelle surviendra à une taille de l’ordre de 35 cm pour les mâles, et de 45 cm pour les femelles. Les anguilles jaunes se métamorphoseront alors en anguilles argentées avant de rejoindre la mer pour entamer leur deuxième migration à travers l’océan atlantique vers la mer des Sargasses…
Un long voyage de retour vers la mer des Sargasses
Influencée par la température, la photopériode et le débit, l’anguille va subir à l'heure de migrer vers la mer de profondes modifications physiologiques, physiques et comportementales pour s’adapter à la vie en mer et rejoindre la mer des Sargasses pour se reproduire. Puis sonne le départ vers la mer à l’automne au profit d’une crue… En Bretagne, près de 140 000 anguilles argentées (BRIAND, C., BEAULATON, L., CHAPON, P.M., DROUINEAU, H., AND LAMBERT, P. 2018. Eel density analysis (EDA 2.2.1) Escapement of silver eels (Anguilla anguilla) from French rivers. 2018 report. Technical report, ONEMA- EPTB Vilaine, La Roche Bernard) se lancent chaque année dans leur migration vers la Mer des Sargasses qui reste encore aujourd’hui semé d’embûches et empli de mystères…
Le déclenchement de la dévalaison vers la mer intervient à maturité physiologique de l’anguille et en réponse à des facteurs environnementaux déclencheurs comme l’augmentation des débits (pluies, inondations, ouvertures de barrages, et dépression atmosphérique) et des conditions de faible luminosité (augmentation de la turbidité et des phases de lune). La dévalaison se déroule chaque année principalement à l’automne et de nuit.
La migration des anguilles argentées débute par la dévalaison des cours d’eau jusqu’à la mer, profitant d’une crue et portées par le courant. En Bretagne, elles se heurtent notamment aux barrages qui provoquent :
- des ralentissements voire des blocages lorsqu’il n’y a pas de surverse : l’effet bloquant sur une année aurait un impact non négligeable sur le long terme par l’augmentation du temps et de la distance de migration de reproduction, diminuant la part d’énergie allouée à la reproduction (il est d’ailleurs possible que les anguilles, n’ayant pas réussi à migrer cette année, n’aient pas l’énergie nécessaire pour attendre la prochaine fenêtre de migration) (DANET V., TRANCART T., ACOU A., CHARRIER F. & FEUNTEUN E., 2020. Etude de l’échappement d’une AEP grâce à la télémétrie acoustique : Cas des anguilles argentées du Frémur pour la saison d’avalaison 2018/19 (projet Bois Joli Suite). MNHN, Fish-Pass, Cœur Emeraude. 50 pages + annexes).
- des blessures voire des mortalités lorsqu’ils sont équipés de turbines hydro-électriques : en Bretagne, ces mortalités ont été évaluées à 3,3 % de la production en Bretagne (soit 9 411 anguilles argentées) (BRIAND C. LEGRAND M., CHAPON P.-M., BEAULATON L., GERMIS G., ARAGO M.-A., BESSE T., De CANET L., STEINBACH P., 2015. Mortalité cumulée des saumons et des anguilles dans les turbines du bassin Loire-Bretagne. EPTB Vilaine, LOGRAMI, OFB, BGM. 124p + annexes).
Les anguilles argentées gagnent enfin le large et, vivant sur leurs réserves de graisse, mettent près de 6 mois pour parcourir les quelques 6 000 km qui les séparent de leur lieu de reproduction, dans la mer des Sargasses. Au début de leur voyage, les anguilles progressent en profondeur, à plus de 30 km par jour.
Un voyage vers les Sargasses encore méconnu…En 2016, un vaste programme de recherche européen avait réussi à suivre des anguilles argentées, grâce à des balises, sur plus de 3000 kilomètres. Lors de ce voyage, ces anguilles marquées parcouraient 50 km en moyenne par jour et plongeaient quotidiennement à des profondeurs de 600 à plus de 1000 m. Leur route migratoire convergeait toutes vers les Açores, quelle que soit leur point de départ en Europe. Malheureusement, aucune anguille marquée n’avait dépassé l’archipel situé à plus de 3000 km vers le sud-ouest de la mer des Sargasses, soit 1/3 du voyage théorique ! (RIGHTON, D. ET AL. Empirical observations of the spawning migration of European eels: the long and dangerous road to the Sargasso Sea. Sci. Adv. 2, e1501694 (2016). https://doi.org/10.1126/sciadv.1501694) Plus récemment, des travaux ont proposé une nouvelle hypothèse : les géniteurs seraient capables de se repérer et de s’orienter vers l’ouest vers les Açores quel que soit leur point de départ. Une fois aux Açores, ils suivraient la dorsale médio-atlantique vers le Sud-Ouest jusqu’à ce qu’ils détectent un changement brutal de la température de l’eau. Ce front thermique, qui est d’ailleurs la température de ponte idéal, se situe à 1000 km à l’est de la bordure de la mer des Sargasses (CHANG, YL.K., FEUNTEUN, E., MIYAZAWA, Y. ET AL. New clues on the Atlantic eels spawning behavior and area: the Mid-Atlantic Ridge hypothesis. Sci Rep 10, 15981 (2020). https://doi.org/10.1038/s41598-020-72916-5). Ce n'est, semble-t-il, qu'au terme de ce voyage que les anguilles deviennent aptes à se reproduire. Mais on n'a jamais encore observé d'anguilles adultes en mer des Sargasses. Aujourd’hui, ce n’est plus tout à fait exact... Près d’un siècle après que le biologiste J. Schmidt a émis l’hypothèse que l’anguille européenne se reproduisait dans la mer des Sargasses, une équipe de chercheurs a publié en octobre 2022 la première preuve directe de présence d'anguilles européennes adultes migrant vers leur lieu de reproduction présumé dans la mer des Sargasses ! Elle a en effet réussi à suivre 26 anguilles femelles depuis 2 rivières des Açores jusqu’à l’intérieur de cette zone subtropicale de l’océan Atlantique. Les individus marqués ont parcouru les 2500 kilomètres pratiquement en ligne droite, en 1 an, à une vitesse inférieure à 12 km/jour (WRIGHT, R.M., PIPER, A.T., AARESTRUP, K. ET AL. First direct evidence of adult European eels migrating to their breeding place in the Sargasso Sea. Sci Rep 12, 15362 (2022)). |
Les supers-pouvoirs de l'anguilleTantôt fabuleuse, tantôt impopulaire, l’anguille fascine depuis la nuit des temps… et ses supers-pouvoirs n’y sont pas pour rien ! L’anguille n’est pas un super-héros (ni un super-vilain même si c’est le cas dans l’univers de Marvel comics), mais elle accomplit grâce à ses prédispositions singulières des choses extraordinaires au cours de sa vie : traverser 2 fois l’océan atlantique, franchir des obstacles bien plus haut qu’elle, … Une peau épaisse et résistanteLa peau de l'anguille, qui paraît lisse mais incrustée de petites écailles, est l'une des plus épaisses et des plus résistantes parmi les poissons. Le mucus abondant qui recouvre sa peau favorise la reptation. La peau de l’anguille, très bien irriguée par les vaisseaux sanguins, lui permet de respirer un moment hors de l’eau en milieu humide, en basculant d’une respiration par les branchies à une respiration cutanée. Un réflexe lié à son instinct de survie ! Elle ne tarde toutefois pas à rejoindre les milieux aquatiques ou humides les plus proches. Ses capacités de reptation et de respiration cutanée l’aide à franchir des obstacles physiques présentant des hauteurs de chute importantes. Les plus petits individus sont mêmes capables de ramper sur des parois verticales en utilisant les forces de tension superficielle créées entre leurs corps et la paroi humide (forces proportionnelles à la longueur du poisson). Anguille européenne en reptation (© LOGRAMI) Un odorat puissantL'odorat de l'anguille est sans doute l'un des plus performants du monde des poissons. Entre les narines postérieures et les narines antérieures, deux « rosettes » olfactives, très développées et composées de lamelles olfactives, perçoivent et analysent les odeurs. Elle peut ainsi décelée une molécule dans 600 km3. Cette capacité fait de l’anguille un prédateur extrêmement doué. Elle peut déceler l'odeur d'une proie de 25 mg diluée 1/1 000 de milliard de fois et suivre sa trace. Une musculature exceptionnelleL’anguille se dote lors de sa métamorphose en anguille argentée de muscles lents, pouvant multiplier sa puissance musculaire par 7. Et ce n’est pas de trop pour traverser l’océan Atlantique pour atteindre son lieu de ponte dans la mer des Sargasses ! Cessant de s’alimenter durant sa migration de reproduction, l’anguille utilise son énergie de manière économe grâce à une nage très efficace liée à une forme du corps hydrodynamique. La femelle ne fera d’ailleurs pas un grand usage de la graisse accumulée en eau douce et la réservera plutôt à ses nombreux œufs. Tous ces supers-pouvoirs ne suffissent pas à faire face aux pressions que l’anguille subit : surpêche, pollution, obstacles, changement climatique… Elle est même aujourd’hui classée en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN)… |
Télécharger la fiche complète de description de l'anguille européenne (S. Collin, 2010)
Sa popularité lui vaut quelques expressions :
S'il y a "anguille sous roche", c'est qu'on vous a caché quelque chose ! Telle l'anguille présente mais invisible !
"Rompre l'anguille au genou" : l'anguille symbolise la ruse, l'astuce qu'on ne peut vaincre par la force brutale.
"Prendre l'anguille par la queue", c'est faire le contraire de ce qu'il faudrait pour parvenir à ses fins
"Echapper comme une anguille" : être agile et insaisissable
Pour aller plus loin...
| "L'anguille européenne, indicateurs d'abondance et de colonisation" G. Adam, E. Feunteun, P. Prouzet et C. Rigaud, coord. Editions Quae, 2008 (ISBN : 978-2-7592-0085-6) |
"Poissons de mer, guide scientifique à l'usage des pêcheurs de France et d'ailleurs" A. Filleul Editions Larivière, 2001 (ISBN : 2-914205-20-1) |