Pour sa 4ème édition, la journée technique a fait escale le 26 novembre 2024 à Saint-Brieuc pour mettre à l'honneur la libre circulation des poissons migrateurs. Cet événement a accueilli plus de 100 personnes venues des 4 coins de la Bretagne. Acteurs de la pêche, techniciens de rivières, représentants de l'État et scientifiques ont échangé tout au long de la journée sur les enjeux, la réglementation, les suivis et les actions concrètes en faveur de la restauration de la continuité écologique.
L’événement a été organisé en partenariat avec la Fédération de pêche des Côtes d'Armor et avec le financement de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, de la Région Bretagne, de la DREAL Bretagne et de la Fédération nationale pour la pêche en France.
Session 1 - L’état des connaissances sur les obstacles à l’écoulement
Après un discours d’introduction de Monsieur Pascal Brouard, Vice-Président de la Fédération de la pêche et de protection des milieux aquatiques des Côtes d’Armor, la journée débute par l’intervention de Marie-Andrée Arago, cheffe du service régional Police de la Direction Régionale Bretagne de l’Office Français de la Biodiversité (OFB), sur une présentation de l’impact des obstacles à l’écoulement sur les milieux aquatiques et les outils de recensement des ouvrages sur les cours d’eau.
Marie-Andrée Arago expose les effets « retenue », « point dur » et « flux » qu’engendrent les obstacles à l’écoulements. Les impacts des obstacles sont multiples et induisent des modifications sur la qualité de l’eau, la température de l’eau, les débits, les hauteurs d’eau, le transport solide, l’érosion, la perte d’habitats et la migration des espèces. Divers outils de recensement des ouvrages, qui communiquent entre eux, ont été développés par l’OFB :
- La base nationale standardisée et centralisatrice, le Référentiel des Obstacles à l’Ecoulement (ROE)
- La base de données des obstacles à l’écoulement, la BDOe
- Le protocole des informations sur la continuité écologique, ICE
Marie-Andrée Arago de l’OFB « La continuité écologique est un sujet prioritaire de l’OFB. Les bases de données sont mises à jour régulièrement et sur les cours d’eau classés en Liste 2 du L214.17, des axes de continuité sont priorisés afin d’alimenter les bases lorsque les données sont manquantes. » |
La matinée se poursuit avec une présentation de Gaëlle Leprévost, directrice de Bretagne Grands Migrateurs concernant une étude lancée en 2024 en collaboration avec l’OFB DR Bretagne sur un état des 1ers ouvrages à la mer et leur l’impact sur la circulation des anguilles en Bretagne. 419 ouvrages à la mer ont été recensés dont 236 ouvrages déjà existants dans le ROE où l’information a été complétée et 183 nouveaux ouvrages recensés dans le cadre de l’étude. 30 % de ces obstacles sont franchissables pour l’anguille (score de 0 ou 1) et ne nécessitent aucune action à prévoir. En revanche, 70 % de ces obstacles nécessitent de mettre en œuvre des actions pour améliorer la franchissabilité pour l’anguille. L’étude va se poursuivre en 2025 notamment pour préciser les expertises de la franchissabilité des ouvrages et définir un plan d’actions régional.
Session 2 - Bilan de la conformité des obstacles situés sur des cours d’eau classés en Liste 2 du L214.17
La session 2 dédiée au bilan de la conformité des obstacles situés sur des cours d’eau en Liste 2 du L214.17 est introduite par Magali Dessaint de la DREAL Bretagne et Johann Lescoat de la DDTM du Finistère sur la réglementation et le bilan de la mise en conformité des obstacles en Bretagne. Les principales notions introduites par le cadre réglementation sont :
- La continuité écologique est issue de la Directive cadre sur l’eau de 2006 et de l’art. R214.109 du Code de l’environnement ;
- Le classement des cours d’eau pour le bassin Loire-Bretagne signé le 10/07/2012 est issu des obligations liées aux classements des cours d’eau en liste 1 (préservation) et 2 (restauration) (art. L.214-17 du CE) ;
- Les prise en compte des enjeux croisés est précisée dans le PAPARCE en 2019.
1693 ouvrages recensés sur les cours d’eau en liste 2 en Bretagne (données au 31/12/2023) dont 211 ouvrages inscrits comme prioritaires au SDAGE Loire Bretagne 2022- 2027 |
Johann Lescoat de la DDTM29 présente les dispositions réglementaires particulières au niveau européen (règlement anguille de 2007), national (Loi climat et résilience du 22 août 2021, dispositions du code de l’environnement L214-18n L211-1 et R214-18-1) et du bassin Loire-Bretagne (dispositions 1D et 9 A du SDAGE Loire Bretagne 2022-2027).
Magali Dessaint de la DREAL poursuit la présentation sur le bilan régional de l’état d’avancement de la conformité des ouvrages. 70% des ouvrages sont conformes sur les 1693 ouvrages recensés sur des cours d’eau classés en liste 2. Sur les 30 % d’ouvrages non conformes, 4 % font l’objet de travaux en cours ou terminés (où les travaux n’ont pas été réceptionnés), 28 % sont en étude ou en instruction pour des travaux et 32 % des obstacles n’ont pas encore fait l’objet d’étude engagée. 13 % des ouvrages ont été mis en conformité en 2023 sur les 211 ouvrages dits prioritaires au titre du SDAGE et 9 % ont fait l’objet de travaux en cours ou terminés.
Laëtitia Le Gurun, chargée de missions à Bretagne Grands Migrateurs en charge de l’Observatoire des poissons migrateurs expose un bilan des travaux de la restauration de la continuité écologique menés entre 2007 et 2023. Sur les 4646 ouvrages recensés en Bretagne, 1 696 obstacles sont situés sur des cours d’eau classés en Liste 2. 69 % d’entre eux sont considérés comme conformes et 301 ouvrages ont été mis en conformité au 31/12/2023, soit 36 % (depuis la date d’entrée en vigueur du classement en liste 2 en 2012). 307 obstacles ont fait l’objet de travaux en Bretagne entre 2007 et 2023 dont 124 seuils effacés, 55 abaissés et 122 seuils où des dispositifs de franchissement ont été installés. 25,6 millions d’euros ont été investis dans la restauration de la continuité écologique depuis 2007 avec 67 % de financement public.
Marc l’Hermitte de la DDTM des Côtes d’Armor termine la matinée avec un retour d’expériences de l’application du classement des cours d’eau en Liste 2 dans les Côtes d’Armor. La mise en œuvre de la politique RCE représente des difficultés en termes de coût en temps et en argent, de gestion des priorités, des limites techniques des solutions, d’acceptabilité « sociale » des moyens mis en œuvre, de pérennité des aménagements, de changement climatique et d’évolution probable des débits, de postures dogmatiques Pro/Anti RCE, d’instabilité réglementaire et d’exemplarité des collectivités et de l’Etat. Une des conditions nécessaires à une opération de restauration de la continuité écologique réussie est l’art du compromis entre les différents acteurs : élus et techniciens des collectivités, bureaux d’études, financeurs, propriétaires, services de l’Etat, usagers… Les gains de la politique RCE sont multiples : gains écologiques et hydromorphologiques, valorisation de patrimoine immobilier du propriétaire (respect de la réglementation, aspect paysager, sécurité voire régularisation des ouvrages irréguliers). De manière générale, les propriétaires sont satisfaits une fois les travaux réalisés même ceux réticents au départ.
Le temps d’échange entre les intervenants et la salle fût riche et beaucoup de problématiques ont pu être abordée : prise en compte des espèces holobiotiques dans les projets, critères de priorisation des ouvrages prioritaires du SDAGE non adaptés, nécessite de révision les cours d’eau en Liste 2, contexte de financement public favorable pour les propriétaires… Hubert Catroux de l’Agence de l’eau Loire Bretagne « Les effacements sont financés à 70 % voire 90 % pour les propriétaires privés avec possibilité de délégation à des collectivités. Les modifications apportées dans le cadre du 12ème programme concernent les aménagements qui seront financés à 50 % uniquement sur les ouvrages du PAPARCE (25 % hors PAPARCE et ZAP Anguille) ». |
Le début d’après-midi s’est déroulé autour de la présentation des travaux de la passe à bassins du port du Légué sur le Gouët avec Alice Landais de la Région Bretagne. |
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Session 3 - Actions concrètes de restauration de la continuité écologique : retour d’expériences et prise en compte des usages
Jérémie Belliot de la direction des canaux de la Région Bretagne débute l’après-midi par un exposé sur la prise en compte en compte de la restauration de la continuité écologique sur les canaux bretons. Depuis 2016, la Région travaille sur un programme global visant à créer ou à réaménager des dispositifs de franchissement piscicole situés sur le Blavet, l’Oust, l’Ille, la Rance et la Vilaine, et depuis 2021 sur l’Aulne. La création des passes à poissons est menée en concertation avec un comité de pilotage et des comités techniques. Des suivis piscicoles sont menés sur l’ensemble de la Région avant et après travaux. 60 agents ont été formés en 2024 sur les problématiques des espèces piscicoles, les enjeux de restauration de la continuité écologique et d’entretien des différentes passes à poissons. Les travaux de restauration de la continuité écologique requièrent quelques points importants : relevés topo avant-projet, dimensionnement et calage de l’ouvrage, vérification des points de niveau en chantier, méthodologie du batardeau et conditions climatiques et hydrologiques. La Région Bretagne présente ensuite quelques exemples d’aménagements réalisés.
L’après-midi se poursuit avec l’intervention de Fabien Charrier de FishPass concernant les dispositifs de dévalaison des anguilles sur les barrages hydroélectriques et d’alimentation en eau potable : Barrage de Rophémel sur la Rance et de Bois Joli sur le Frémur. Au cours du XXème siècle, dans l’ouest de la France de nombreuses retenues ont été créées. En Bretagne, ce sont 15 retenues AEP, 5 usine hydroélectrique sur retenue et 5 barrages de régulation de débit. Les principales caractéristiques de ces barrages sont leurs tailles et hauteurs. La plupart des retenues sont désormais équipées pour la montaison de l’anguille mais très peu d’études traitent de leurs impacts sur la dévalaison et très peu sont équipées en Bretagne. Les retenues constituent un fort impact des retenues sur les anguilles avec des mortalités liées au passage dans les organes de gestion hydraulique et des retards de migration par l’effet retenue. La gestion des retenues et les organes de gestion hydraulique vis-à-vis de la dévalaison des anguilles font l’objet de peu de réglementation et de peu de contrôles par les services de l’Etat. Actuellement, la dévalaison est peu prise en compte de la dévalaison dans les projets notamment parce qu’aucun système de dévalaison sur les retenues AEP n’existe et qu’on dispose de peu de recul sur l’efficacité in situ des quelques systèmes de dévalaison existants. Ces systèmes représentent également des contraintes et des coût assez élevés et peuvent induire des conflits d’usages sur l’utilisation de l’eau.
La session 3 se termine par un retour d’expérience d’actions de restauration de la continuité écologique sur le bassin versant du Léguer en faisant un focus sur la prise en compte des différents usages par Samuel Jouon et Vincent Guizouarn de Lannion Trégor Communauté. Les intervenants présentent quelques exemples de travaux réalisés sur le Léguer qui ont pris en compte différents usages :
- Seuils de Traou Long : continuité et Alimentation en eau potable
- Lestreuz : continuité et kayak et AEP
- Moulin Guerson : continuité et restauration paysagère / agrément - Kerguiniou / milin paper : continuité et droit d’eau / réduction risque d’inondation
- Moulin de la ville : continuité et réduction du risque d’inondation - Ruisseau des forges : continuité et biodiversité forestière
- Traou hi : continuité, restauration et accessibilité des berges, sécurité et biodiversité
Les garanties du succès de ces projets passent par des travaux adaptés à chaque site pour prendre en compte le souhait des propriétaires et les usagers de la rivière.
Session 4 - Evaluer et suivre l’impact des obstacles à l’écoulement
La session 4 dédiée à l’évaluation et au suivi de l’impact des obstacles à l’écoulement débute par une intervention d’Emilien Lasne de l’INRAE DECOD sur les améliorations suite à l’effacement des barrages de Vezins et la Roche-Qui-Boit sur la Sélune. L’effacement de Vezins a été réalisé en 2020 et celui de La Roche Qui Boit en 2022. Un programme scientifique Sélune, mené depuis 2012, qui se poursuit jusqu’en 2027 englobe différents volets dont les résultats sont déjà positifs :
- Continuité sédimentaire et chimique : Réactivation des flux naturels (sédiments et d’éléments dissous) ;
- Disparition de l’anomalie de température liée aux lacs : Réduction de l’anomalie thermique (- 1,5 à 2°C dans l’eau en été à l’aval) ;
- Etat écologique de la Sélune : Restauration rapide de l’écosystème et bon état écologique dans les anciens lacs ;
- Recolonisation par les migrateurs : En 2024, 70 % des saumons capturés dans le cadre des suivis l’ont été en amont des barrages.
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Recolonisation par l’anguille (à gauche) / Cartographie des frayères de lamproie marine |
Mikaël Le Bihan de l’OFB Direction Régionale Bretagne expose différentes suivis er retours d’expériences menés par l’OFB de travaux de la restauration de la continuité écologique :
- Les sites suivis dans le cadre des sites de démonstration (Projet national) sur l’Islet, le Pont Sal et le Ty Mat (suppression de barrage de 7 9 m de hauteur) ;
- Les sites suivis dans le cadre du réseau des sites locaux de la DR Bretagne de l’OFB avec l’exemple de plan d’eau de Pont-Calleck sur le bassin versant du Scorff ;
- Des exemples de retours d’expériences réalisés a postériori des travaux avec des retours d’expériences sur 40 suppressions de plans d’eau et 13 passes naturelles (rampes en enrochement régulièrement réparties) ;
- Des exemples de suivis à l’échelle nationale (pôle écohydraulique de l’OFB) à l’aide de d’antennes RFID sur la Clidane et le Rhin.
Pour terminer cette journée, Laëtitia Le Gurun de BGM, présente des travaux en cours concernant l’évaluation de la pression cumulée des obstacles à la montaison et à la dévalaison sur les poissons migrateurs. Les travaux évaluant l’effet cumulé des obstacles sur les poissons migrateurs sont peu nombreux et sont souvent cantonnés à une espèce et/ou un bassin. C’est pourquoi Eaux & Vilaine, Loire Grands Migrateurs (LOGRAMI) et BGM ont lancé en 2023 un projet, intitulé MONTEPOMI. Le projet consiste à :
- Déterminer l’impact cumulé des obstacles à la montaison : Il en ressort que la hauteur de chute est la plus influente sur la présence des espèces. Les densités seraient plutôt dépendantes d’autres facteurs tels que l’année, la distance à la mer, le bassin… ;
- Evaluer le gain potentiel d’un effacement ou aménagement d’obstacles (travaux en cours).
In fine, il s’agit de pouvoir développer une interface interactive qui permettra, en quelques clics, de consulter les résultats et de tester des scénarios d’aménagement de restauration de la continuité écologique.
Le Président de Bretagne Grands Migrateurs clôture cette journée en soulignant qu’il reste encore des efforts à fournir pour restaurer les poissons migrateurs puisque plus de 500 obstacles ne respectent pas la réglementation en vigueur !
Restaurer la continuité écologique est essentiel pour améliorer la circulation des poissons migrateurs mais également pour améliorer les habitats disponibles pour leur croissance ou leur reproduction. Dans un contexte de changement climatique, il est d’autant plus important de mener des actions en rivières en raison de notre incapacité à mener des actions dans le milieu marin par exemple.
Monsieur Moëlo termine ses propos par une note d’espoir « L’étroite collaboration entre les acteurs bretons : instances de la pêche, organismes de recherche, gestionnaires et l’Etat et le travail de coordination de BGM est une force en Bretagne et, je l’espère, permettront de restaurer nos populations de poissons migrateurs. J’ai pourtant encore espoir et espère sincèrement que tous nos efforts menés pour restaurer les habitats et la qualité de l’eau en rivière porteront leurs fruits ! ».
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